20.9.04

Le Clézio, Le Livre des Fuites - encore

« Laure, c’est ici, j’ai trouvé. Je crois que je ne fuirai plus jamais. J’ai semé mes ennemis, définitivement. Al Capone, Custer, Mangin, Mac Namara, Attila, Pizarro, De Soto, Bonaparte, tu sais, tous mes ennemis. Et puis Chevrolet, Panhard, Ford, Alfa Roméo. Tous ceux qui voulaient ma peau. Ils ont perdu ma trace, je crois. C’est un miracle. Et le général Beau, le colonel Bon, le maréchal Vrai. L’amiral Mal. Le chef de bataillon Dieu, le capitaine Satan. Tous, qui me traquaient. Avec leurs uniformes. Avec leurs sabres. Tous mes ennemis à lunettes noires, avec leurs cravates à raies e leurs cheveux peignés. Et les femmes Rimmel, Mascarat, Jarretelles. Celles qui me guettaient du fond des pages glacées de magazines, avec leurs corps aiguisés, avec leurs seins, avec leurs jambes en forme de lances. Celles qui avaient des yeux d’acier, des cils noirs, et des lèvres couleur de corail. Elles qui me tendaient leurs pièges méprisants, et qui riaient de me voir trébucher. Les femmes Amour, les femmes Douce, Belle. Jamais elles ne viendront jusqu’ici. Leurs yeux ne supporteraient pas la lumière intense qui explose partout. Leurs oreilles ne supporteraient pas le silence. Leurs cheveux d’or ne supporteraient pas la poussière. Je suis libre, presque libre.
... »

J.M.G. Le Clézio, in Le Livre des Fuites, ed. Gallimard

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